L’intelligence artificielle : partenaire de confiance ou ennemie jurée des recruteurs de demain ?
À l’ère des nouvelles technologies, l’intelligence artificielle s’installe de plus en plus dans la fonction RH. Et pour cause, l’IA permet aux ressources humaines et notamment aux recruteurs, qui font face à un contexte quelque peu tendu entre pénuries de talents et risque de grande démission, de garder le cap dans la tempête. Système de matching entre talents et job description, optimisation du temps de travail et création d’expériences candidats différenciées : les possibilités sont nombreuses. Toutefois, pour Nicolas Recapet, DRH de Talan et expert en intelligence artificielle et en recrutement, c’est une évidence, l’IA ne remplacera jamais le recruteur mais agira comme un allié l’épaulant dans ses missions.
Dans un contexte tendu, en pleine “guerre des talents”, est-ce que l’IA peut être, aujourd’hui, une solution pour pallier les difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises ?
Oui et non. Croire que l’IA va résoudre les problèmes de recrutement et de pénuries de main d’œuvre dans les entreprises est un leurre. Ce serait utopique d’imaginer qu’elle puisse faire en sorte que les entreprises recrutent tous les candidats idéaux d’un coup de baguette magique. En revanche, l’intelligence artificielle contribue à accélérer les procédures de recrutement et à trouver les bons profils. Par exemple, l’IA peut permettre le “matching des talents”, grâce à des algorithmes qui repèrent certains mots-clés présents sur les descriptions de poste et sur les CV puis donnent un indicateur de pertinence et de compatibilité en pourcentage aux recruteurs. L’intelligence artificielle fait donc un premier tri dans les candidatures, mais ne remplace pas l’échange entre les candidats et le recruteur.
On peut également proposer une expérience candidat optimisée, grâce au métavers notamment, en leur permettant de visiter les locaux de manière augmentée. Dans ce cas là, il ne s’agit pas d’une simple visite virtuelle comme on peut trouver sur les sites immobiliers par exemple. Le candidat se déplace virtuellement dans les locaux et peut interagir avec les personnes présentes dans le métavers. Il peut, entre autres, toquer à la porte du DRH et lui poser des questions : si ce dernier est présent, il y répond, s’il est absent, c’est l’IA qui prend le relais via un avatar. Ce type de système apporte de la valeur ajoutée et des éléments de différenciation qui peuvent accélérer le recrutement, voire le faciliter et attirer de nouveaux talents.
Si on se projette dans le futur, à quoi pourrait ressembler l’intelligence artificielle en matière de recrutement dans les années à venir ?
L’IA sera de plus en plus présente dans la fonction RH. Elle pourra par exemple prédire les risques de sorties, c’est-à-dire déceler, avant qu’il ne soit trop tard, les futurs démissionnaires, ou les démissionnaires silencieux. Pour une entreprise, il est souvent plus intéressant de retenir les talents que d’en recruter de nouveaux. Il y a de la data à aller chercher aussi bien dans l’entreprise qu’en dehors : engagement, promotion, évolution de rémunération, commentaires sur des forums internes, mise à jour du CV ou du compte Linkedin, tout en respectant évidemment les règles RGPD. Pour aller plus loin, l’IA pourrait également intervenir sur la gestion des carrières et les besoins de formation des salariés en créant des parcours plus adaptatifs, plus personnalisés.
Pour pallier la généralisation de l’intelligence artificielle au sein des services RH, c’est important selon moi que les équipes soient sensibilisées à l’évolution du métier. Il est impératif que les recruteurs et DRH comprennent la plus-value de l’IA : cela passe par une prise de conscience mais aussi et surtout par l’expertise. Aujourd’hui, tout le monde n’a pas forcément les compétences pour mettre en place ce genre de solution : les équipes doivent être formées.
Selon vous, l’intelligence artificielle a-t-elle vocation à remplacer la fonction de recruteur ?
Non, l’IA ne viendra pas remplacer le recruteur. L’interaction humaine est primordiale, c’est le cœur de la fonction RH. Tout comme le métavers ne viendra pas remplacer un échange physique. Par contre, l’intelligence artificielle viendra compléter et même optimiser les missions du recruteur. En tant qu’êtres humains, nous avons tous besoin d’interaction et de partage, même en distanciel. Les nouveaux outils, de visioconférences notamment, qui se sont généralisés lors de la crise sanitaire permettent justement de conserver ce contact humain : ils nous permettent d’analyser le regard, la posture, la façon dont notre interlocuteur s’exprime, ce qui ne sera jamais vraiment possible avec les machines.
Donc, oui, l’IA va enrichir, optimiser, améliorer le recrutement mais ne se substituera pas aux recruteurs. Elle doit absolument être perçue comme un partenaire de confiance et non comme un ennemi qui va remplacer l’humain, ce qui n’est pas encore systématiquement le cas aujourd’hui. En outre, l’IA apprend en permanence, c’est pourquoi elle nécessite un soutien humain pour ne pas faire d’erreurs. Prenons l’exemple des algorithmes de reconnaissance faciale qui décèlent les émotions ou l’âge d’une personne à partir d’une simple photo : dans la plupart des cas les algorithmes fonctionnent très bien, et dans d’autres, pas du tout.
Les entreprises ont tout intérêt à se doter de HR data analyst pour comprendre et analyser les données. Si ces dernières sont mal comprises ou interprétées, les résultats seront faussés, ce qui peut être dangereux. Des études prouvent d’ailleurs les freins de l’IA : des algorithmes de recrutement sortaient automatiquement certaines populations ou classes socio-éducatives en se basant sur les pratiques peu optimales de recrutement opérées par l’entreprise jusque là. Il faut être extrêmement vigilants en matière d’éthique et c’est aussi pour ça que le rôle de l’humain est indispensable dans les procédures de recrutement.