Mais qui prend soin des RH ?

La symétrie des attentions : mais qui prend soin des RH ?

Une des tendances annoncées pour les RH est l’adoption de plus en plus forte des codes du marketing par la fonction. 

C’est la notion en vogue de “symétrie des attentions” qui symbolise peut-être le mieux cette direction. 

RH et collaborateurs : d’une relation professionnelle à une relation commerciale ?

Le concept de symétrie des attentions a été introduit par Benoît Meyronin et Charles Ditandy en 2015 dans le livre “Du management au marketing des services”. 

Il véhicule l’idée qu’un collaborateur a besoin qu’on prenne soin de lui pour pouvoir, à son tour, prendre correctement soin de ses clients. Ou pour le dire encore autrement : la qualité de l’expérience collaborateur est tout aussi importante (sinon plus) que celle de l’expérience client. 

L’expérience client est un incontournable d’une stratégie marketing. Le principe est simple : il s’agit de s’assurer que chaque point de contact entre une entreprise et un consommateur crée de la satisfaction pour ce dernier. Concevoir une expérience remarquable implique au préalable de bien connaître sa cible et ses attentes. 

Par symétrie, l’expérience collaborateur est constituée de chaque point de contact entre un collaborateur et une entreprise. Optimiser l’expérience collaborateur revient à définir le parcours optimum que devrait vivre un collaborateur, en particulier aux moments-clés (recrutement, intégration, mobilité, formation, départ…).

Cela donne lieu à l’élaboration d’une offre de services RH, traduction de la promesse collaborateur (à l’image de la promesse client). Pour assurer une expérience collaborateur de qualité, cette offre doit être parfaitement alignée avec les besoins, attentes et défis des collaborateurs et la culture et stratégie de l’entreprise. 

Une expérience collaborateur bien pensée booste le sentiment de reconnaissance et d’appartenance des collaborateurs et contribue à leur réussite, leur engagement et leur épanouissement. 

Conséquence naturelle de cette nouvelle tendance : la relation entre RH et collaborateurs changent de nature. Le collaborateur devient client de la fonction RH, et celle-ci devient fournisseur de services.

Une bonne nouvelle pour les RH, vraiment ?

Si cette nouvelle tendance est une bonne nouvelle pour les collaborateurs - qui ont ainsi plus de chances d’obtenir l’attention qu’ils méritent - elle peut présenter un risque pour la fonction RH. 

En effet, elle assimile le service des RH à un bien de consommation. Pas sûr, à une époque où le client est roi, qu’il faille s’en réjouir. Car la relation entre un client et une entreprise est déséquilibrée. Le client n’est pas redevable de quoi que ce soit. Au mieux, il obtient suffisamment de satisfaction du service ou produit acheté pour renouveler son achat ou le recommander. Mais à la moindre incartade ou déception, pas d’état d’âme : il ira se fournir ailleurs. Il paie pour une expérience et n’attend rien de moins qu’elle soit irréprochable. 

Considérer le collaborateur comme client des RH risque donc de créer une fracture sur une relation parfois fragile entre la fonction RH et les collaborateurs.

Certes, si cette fracture existe déjà, c’est bien parce que les RH ne parviennent pas toujours à répondre aux besoins et attentes des collaborateurs à l’heure actuelle, et que certains se sentent parfois délaissés, en manque de reconnaissance et de soutien. 

Ce nouveau positionnement est l’opportunité d’y remédier de façon adéquate et de remettre, réellement, les besoins du collaborateur au coeur de la réflexion pour plus d’épanouissement et d’engagement. Une expérience optimisée peut faire grimper le niveau de satisfaction des collaborateurs, améliorant ainsi la relation avec les RH......tant que la promesse est tenue. 

Toutefois, cela signifie aussi une augmentation probable du niveau d’exigence des collaborateurs vis-à-vis des RH - en tant que clients, c’est bien normal. Et plus d’intransigeance s’ils n’y trouvent pas leur compte.

Il y a un besoin urgent de repenser la prise en compte des attentes des collaborateurs au sein des organisations, et c’est tout l’objectif de l’expérience collaborateur. Sans conteste, les RH ont tout intérêt à l’inclure à leur stratégie. 

Cependant, il me semble essentiel de prendre garde à ce que ce nouveau positionnement n’entraîne pas de retombées négatives pour la fonction RH déjà mise à mal. 

L’éthique du “care” à la rescousse de la fonction RH

Benoit Meyronin propose de fonder la démarche d’expérience collaborateur sur l’éthique du care (“soin” ou “attention”) pour éviter le principe du “collaborateur roi”. C’est à dire envisager le système dans son ensemble pour prendre soin de chaque partie prenante, à tous les niveaux. Le carepermet de remettre la relation au coeur de toutes les priorités. 

Dans cet esprit, appliquer l’éthique du carepermet de penser l’expérience collaborateur non pas sous un angle client-fournisseur mais comme la traduction d’un partenariat entre collaborateurs et RH. “Je t’aide à t’épanouir, tu m’aides à t’aider”. Chacun prend en charge ses responsabilités. 

Ainsi, plutôt que de placer RH et collaborateurs face à face, on peut nourrir l’idée d’effort commun, où chacun est dans le même bateau. 

Par ailleurs, l’éthique du care apporte un autre enseignement clé pour la fonction RH : il est primordial de prendre soin de soi pour être en capacité de prendre soin des autres. Ou pour reprendre une consigne bien connue : il faut enfiler son propre masque à oxygène avant d’aider un enfant.  

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La mission des RH relève bien du care, de prendre soin de l’humain. Pour maintenir son énergie dans la durée, elle a donc elle aussi besoin d’attention. Elle a besoin que ses propres attentes, difficultés et aspirations soient prises en compte. 

D’ailleurs, je vous propose de pousser la logique derrière la symétrie des attentions un cran plus loin. 

Selon cette logique, l’attention portée par le collaborateur au client est à la hauteur de celle qui lui est portée à lui-même, par les RH donc. 

Mais alors, si on continue sur cette logique, cela signifie que l’attention portée par les RH au collaborateur sera elle aussi à la hauteur de celle que les RH reçoivent à leur tour...

Et la question se pose alors: qui prend soin des RH ? 

Question qui soulève un paradoxe puisque les DRH et RRH ne  sont-ils pas eux-mêmes, avant tout, des collaborateurs ? A ce titre, est-ce que cela signifie qu’ils deviennent...leur propre client ? 

Et qu’ils doivent donc développer des stratégies pour prendre soin d’eux-mêmes, en concevant une expérience collaborateur spécifique à leur fonction ? 

Ce qui est sûr, c’est qu’il est primordial pour les RH de considérer que leur propre bien-être compte autant que celui du reste des collaborateurs. Et de chercher du soutien où il se trouve : auprès de collègues, de pairs, d’un mentor ou d’un coach. 

Bien entendu, les directions ont elles-aussi une grande responsabilité concernant ce besoin d’accompagnement et de reconnaissance. Charge à elles de réfléchir à la meilleure façon d’épauler la fonction RH dans sa mission. 

L’objectif est clair : prendre soin de la fonction RH pour qu’elle soit en capacité de prendre soin des collaborateurs, qui prendront à leur tour soin des clients. Tout le monde y gagne. 

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